En Suisse, le scan d’un QR-code attestant de son statut sanitaire a été rendu obligatoire le 13 septembre pour accéder à un certain nombre de lieux publics fermés.
Pour commencer, précisons que l’on n’a (malheureusement) pas de solution clé en main pour combattre cette pandémie, ni de boule de cristal pour savoir quand elle se terminera. Notre prise de parole n’est pas celle d’un cénacle de médecins ou d’un parti de gouvernement, nous parlons d’un point de vue militant qui cherche la rupture avec le système de domination capitaliste.
Cette rupture est nécessaire entre autres choses parce que ce système et le saccage de l’environnement qui l’accompagne favorisent l’apparition et la dissémination de virus pathogènes comme le Covid-19. C’est pour cette raison que l’on a critiqué à de maintes reprises la politique de « nos » autorités, mais sans jamais nier l’existence du virus lui-même. Comme le disait un camarade biologiste, « il n’y a pas de camp pour savoir si un t-shirt vert est bien vert. Par contre, on peut débattre sur « est-il beau ? » ».
Alors que l’an dernier, les partis de gauche se sont souvent alignés sur le gouvernement suisse, nous avons dénoncé la logique de classe derrière la politique suivie à l’automne 2020 [1], lorsque rien n’a été entrepris pour enrayer le nombre de contaminations et de morts dans le pays. De même, il a été dit et redit que les politiques de confinement ne réglaient rien pour les classes populaires qui se retrouvaient brutalement sans revenus ou forcées d’aller travailler sans mesures sanitaires efficaces.
Ce petit retour en arrière est nécessaire pour comprendre d’où l’on parle aujourd’hui, dans cette phase politique marquée par l’introduction du QR-code dans la majorité des lieux publics fermés. Tout est différent de 2020, l’arrivée du vaccin en Occident a rebattu les cartes et les Etats veulent désormais tout faire pour éviter des fermetures d’entreprises (commerces, aéroports, restaurants, etc.). Les raisons avancées par les élites politiques sont surtout financières, les “cautionnements solidaires” de l’an dernier ont coûté cher à ce pauvre pays qu’est la Suisse. A ce titre, un rapport du Contrôle fédéral des finances publié début septembre a montré que plus de 200 entreprises ont continué à verser des dividendes à leurs actionnaires malgré les aides de l’Etat. Voilà une preuve de plus que dans cette crise sanitaire tout le monde n’est pas “dans le même bateau”. Il est vraiment indécent de voir la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter (PLR) dire que le fait de devoir refermer des entreprises pour motif sanitaire serait “son cauchemar”, quand on sait que dans le même temps elle gère les taules pour migrantExs comme le prochain centre fédéral en construction au Grand-Saconnex (“Femina”, 29/08/21).
Le QR-code est un symptôme
Se positionner contre le passe sanitaire est un exercice périlleux, car les critiques les plus véhémentes mais surtout les plus visibles sont celles formulées par la sphère confusionniste à tendance d’extrême droite, telles que celles du groupe Reinfocovid et ses multiples chaines Youtube (voir l’article de La Horde à ce sujet https://lahorde.samizdat.net/Qui-sont-les-animateurs-de-Reinfocovid )
Plusieurs médias de gauche se sont emparés de la question, notamment la Quadrature du net, une association qui dénonce la surveillance numérique et qui publie des articles sur son site internet : https://renverse.co/analyses/article/de-quel-type-de-surveillance-le-passe-sanitaire-est-il-l-expression-3222
Leur article est un travail sérieux tant sur les dangers des technologies numériques que les prises de paroles (relativisantes) allant jusqu’à nier la réalité de la pandémie dans les manifs en France. Il est d’ailleurs regrettable que l’opposition au QR-code n’ait pour ainsi dire tissé aucun lien avec les protestations précédentes contre le passeport biométrique, la reconnaissance faciale, les caméras de surveillance et autres merdes techno-capitalistes. En Suisse, c’est plutôt une mouvance « anti-vaccin » (c’est comme ça que les médias l’appellent) qui est en train de se renforcer. Cette dernière est composée de plusieurs micro-mouvements, parfois uniquement présents en Suisse alémanique : Freiheitstrychler (les sonneurs de cloches), Amis de la constitution, Stiller Protest, Mass-voll, etc. On peut les considérer comme la deuxième branche de l’arbre néolibéral puisqu’en plus de n’avoir aucun problème avec la domination en général, ces groupes revendiquent un « droit d’ignorer l’Etat », tel que l’avait formulé le théoricien racialiste Herbert Spencer il y a plus d’un siècle. On est en plein dans une vision conservatrice-individualiste de la société, celle d’un individu-roi qui estime incarner le peuple à lui tout seul. Ces libéraux-spencéristes vampirisent toute l’opposition au Conseil fédéral, leur propagande est à gerber et il est clair que ces gens-là seraient les premiers à nous réprimer s’ils se retrouvaient un jour au pouvoir (ils le sont d’ailleurs en partie quand on entend les discours libéraux-eugénistes d’Ueli Maurer (UDC) sur la façon de réagir à la pandémie).
La question internationaliste se pose également vu que les Etats occidentaux sont désormais engagés dans une compétition cynique pour le peloton de tête du taux de vaccination au détriment des pays du sud. Comme le faisait remarquer l’anthropologue Aude Vidal sur son blog, “les débats [sur le pass sanitaire] restent très franco-français. Nous peinons à imaginer l’impact que peut avoir le simple fait de tomber malade et de rester alité·e dans un pays sans couverture médicale ni protection sociale qui assure le revenu des malades jusqu’à leur rétablissement”. Le propos est complètement valable pour les groupes anti-vaccins cités plus haut, qui sont gangrénés par un nationalisme dégueulasse et un sentiment que la Suisse est le “pays le plus libre du monde”. A l’inverse, une opposition au QR-code dégagée de ces scories assumerait de dire que le covid n’est pas à proprement parler une “question suisse” et qu’au contraire, la lutte contre les dispositifs de flicage devrait aller de pair avec une perspective d’éradication du virus à l’échelle mondiale.
Du reste, il est indéniable que la période polarise les fronts, les changements sont brutaux et font disjoncter pas mal de monde, nous y compris. Si l’opposition légitime au QR-code dure dans le temps, il serait bon qu’elle rappelle aussi que le Conseil fédéral a décidé le mois dernier de rendre les tests payants à partir du 1er octobre. Ou que le gouvernement suisse est le premier à s’opposer aux levées de brevets pour les vaccins au sein de l’OMC. Voilà quelques perspectives autres et on l’espère incompatibles avec le simple mantra selon lequel il faudrait « apprendre à vivre à l’ère [du certificat covid] » (« Tribune de Genève », 14/09).